13 août 2006

Etrange étrangeté


Ce samedi, j'ai vu un film étrange. "Stay" est son titre. C'est l'histoire d'un psychiatre qui a un patient qui veut se suicider. A moins que ce ne soit l'histoire d'un gars qui veut se suicider et qui va voir un psychiatre, je ne suis pas sûr. Toujours est-il que ce type connait l'avenir. Il déclare aussi qu'il veut se suicider le samedi soir, à minuit. L'histoire se déroule principalement autour des efforts du psy cherchant à empêcher son patient de se tuer. Sans vouloir révéler tout le film à ceux qui voudraient le voir, je peux dire qu'il se passe toutes sortes de choses étranges, et qu'on a beaucoup de peine à discerner le réel de l'onirique. Les personnages étranges se suivent, les interrogations se soulèvent chaque minute, bref, on ne comprend pas grand chose. Et il ne faut pas trop compter sur la fin du film pour nous en dire plus. J'ai évidemment une certaine interprétation du film, mais ce serait trop en dire et gâcher le plaisir de ceux qui ne le connaissent pas.
Toujours est-il que ça m'a fait réfléchir. Pourquoi apprécie-t-on ce qu'on ne comprend pas? Combien de fois ai-je entendu (et me suis-je entendu dire) "Ce film était parfaitement incompréhensible, j'ai rien compris, ça va certainement devenir un film culte, c'était génial."? Pourquoi ne pourrait-on pas avoir le droit de juste "ne pas comprendre", et d'en déduire que le film en question est tout simplement mal fait? Cela dit, si des gens brillants veulent m'expliquer pourquoi le psy avait des pantalons trop courts, je suis preneur. Et pas la peine de répondre que c'est parce qu'il a de l'eau à la cave, j'y ai déjà pensé.

Les réactions probables à cet article.

- "De toute façon, personne ne comprend jamais rien à l'art!" Nelly Wenger
- "C'était un bon gars ce Marcel Duchamp en fin de compte." La dame-pipi de la gare de Lausanne.
- "Et pourquoi moi je suis pas au box-office quand je fais des films à la con?" Bernard-Henri Lévy
- "Il dit qu'il voit pas le rapport." Kara (aucun lien, il est fils unique)

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Vive Marcel Duchamp!

Anonyme a dit…

Vive Marcel Duchamp bis!

Plus sérieusement, le post de Julien m'a rappelé un film que j’ai vu il y a quelques temps : « La moustache » avec Vincent Lindon et Emmanuelle Devos. L’histoire d’un gars qui un jour se coupe la moustache, mais personne ne le remarque. Il s’en suit une longue série de faits étranges qui culminent avec une fin de film déroutante. Face à ce genre de films, il me semble qu’on peut observer en général deux attitudes : 1) rationalisation à tout prix, à renfort de théories psychanalytiques en général (y compris dans le cas d’un délire onirique), 2) « symbolisation » forcée du film, tout est symbole, syndrome du « cela ne s’est pas vraiment passé comme ça ». Dans le cas de « La moustache », le héro ne s’est pas vraiment coupé la moustache, c’est le symbole d’une perte de virilité, d’un changement de caractère [insérer là une quelconque théorie bidon].
Je ne sais pas jusqu’à quel point cette observation s’applique à « Stay », mais en général, par plis « professionnel », j’ai tendance à échapper à cette polarisation et à privilégier la piste du fantastique. Le fantastique « historique » (c-a-d comme il a été théorisé à la fin du 19ème siècle) implique une mise en question de notre vision du monde par la confrontation d’un personnage à des phénomènes étranges, explicables en partie par des raisonnements scientifiques, mais souvent pas entièrement. D’où une tension entre naturel et surnaturel, visible par exemple chez Maupassant (Le Horla n’est-il qu’une manifestation de la folie du héro ?). Je trouve souvent plus intéressant de rester dans cette tension, plutôt que de vouloir à tout prix la résoudre à coup de théories psychanalytiques ou de symboles. A condition bien sûr que la tension soit productrice de sens. Il ne s’agit pas de laisser le spectateur dans le doute pour le plaisir (je rejoins Julien sur ce point). Dans le cas de « La moustache », le doute induit sur le réel est, me semble-t-il, signifiant en tant qu’expérience de pensée : connaît-on vraiment les personnes qui nous sont les plus proches ? Ou que se passerait-il si je décidais d’orienter ma vie d’une manière radicalement différente ? A voir si dans le cas de « Stay », l’étrange, le fantastique apporte véritablement un surplus de sens…

Julien a dit…

Merci à toi Guy, pour ce commentaire éclairé. Au cours du film, j'ai pensé qu'effectivement les questions que tu poses ("connaît-on vraiment les personnes qui nous sont les plus proches ?", etc.) étaient la "pierre de touche" du scénario, et qu'on en aurait la confirmation lors du dénouement. Mais de dénouement il n'y en a pas. Ou alors je suis parti auy toilettes à ce moment, faudrait demander à Adrien. Du coup, je suis resté sans réponses, et avec beaucoup de doutes sur le sens du film.

Julien a dit…

J'ai toujours su que ça servirait un jour d'avoir quelqu'un qui fait Lettres dans la famille! Merci pour cette explication!